mercredi 28 mars 2018

Escrime artistique contre escrime historique ?

Récemment Adrien Garcia, dans un excellent billet de blog faisait le point sur les différents types d'escrime de spectacle en dégageant trois spécialités : escrime de théâtre, escrime de cinéma et escrime de spectacle vivant. Il évoquait également deux dominantes la dominante "escrime historique" et la dominante "escrime artistique" mais ne les définissait, hélas, pas.
Si vous lisez ce blog depuis quelque temps vous savez que la dimension historique de l'escrime de spectacle me tient particulièrement à cœur, mais du coup qu'est-ce que cette dominante "escrime artistique" évoquée par l'auteur ?
Spectacle "Le dernier Trecio" par la Salas de armas Louis XIV - champions du Monde2016 - catégorie "ensemble".

 Le caractère "artistique"


Tout d'abord intéressons-nous au qualificatif "artistique". Le dictionnaire Larousse en ligne donne deux définitions intéressantes :
    1. Relatif aux arts (peinture, sculpture, architecture, etc.), aux œuvres d'art, aux artistes : Les richesses artistiques d'un pays.
    2. Qui est fait avec art, avec un souci de la beauté : Une reliure artistique.
Pour l'escrime artistique, dans la définition d'Adrien Garcia, c'est très certainement la seconde définition qui est concernée, le souci de la beauté dans l'escrime. Nous nous épargnerons ici les discussions sur la place de l'esthétique ou de la Beauté dans l'Art, nous n'en retiendrons qu'être artistique pourrait aussi ne pas être esthétique mais poursuivre d'autres buts au service de l'Art.

Le souci esthétique s'opposerait-il au souci d'historicité ? Parfois c'est le cas, certains coups historiques sont assez laids, cependant d'autres sont, au contraire, très élégants. L'antagonisme n'est donc peut-être pas là.

En fait construire une escrime d'abord esthétique suppose plutôt de privilégier l'esthétique au réalisme et à la crédibilité du combat, à privilégier des coups visuellement beaux, à privilégier la chorégraphie sur le réalisme et tant pis si dans la vraie vie le bretteur se serait fait planter par une vilaine contre-attaque bien moche au milieu de sa volte ! L'escrime historique est, quant à elle, réaliste, puisque l'on peut supposer que tous les coups enseignés ont été passés au moins en salle d'armes si ce n'est sur le pré ou le champ clos. Quand bien même certains coups, parades ou passes historiques sont d'une efficacité douteuse ils n'ont probablement pas été sélectionnés par hasard et ont pu fonctionner dans certaines conditions particulières.

À l'inverse donc la dimension artistique de l'escrime ne prend pas vraiment en compte le réalisme ou, du moins, accepte de s'en affranchir pour des besoins esthétiques ou de récit artistique. Mais jusqu'où cela reste-t-il de l'escrime et non de la danse avec des épées ou autre variante de ce genre ?


 La bataille d’Ellon dans le Mac Beth de 2015 réalisé par Justin Kurzel : l’esthétisme particulière du combat est au service du récit dramatique et des visées artistiques du réalisateur

Qu'est-ce que l'escrime ?


Pour une définition de l'escrime plus large que le sport moderne il faut se référer à des dictionnaires plus anciens. Le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales nous donne cette définition qui semble convenir :
 Art de combattre à l'arme blanche (épée, fleuret, sabre, etc.); exercice par lequel on apprend à manier ou au cours duquel on manie une telle arme.
 Le mot "art" ici doit s’entendre au sens ancien de talents, d'habileté et non au sens moderne (celui d'où dérive le mot "artistique"). L'escrime est donc un combat armé où chacun des protagonistes s'efforce de gagner en faisant preuve de la meilleure habileté possible. Dans le cas de l'escrime de spectacle il s'agit d'un simulacre de combat, on pourrait donc lui refuser le terme d'escrime mais nous garderons celui-ci par commodité. À tout le moins des techniques d'escrime doivent donc être utilisées dans ce simulacre de combat, du moins si l'on veut encore accepter le terme d'escrime. Mais où puiser ces techniques sinon dans le combat historique ? Dans un domaine proche, le combat au corps à corps, Jonathan Eusebio (chorégraphe de The Avengers, The expandable, 300, John Wick...) explique dans cette interview qu’il « ancre toujours sa chorégraphie dans quelque-chose de réel et d’applicable » et que « la fonction d’une technique est d’être reconnue comme quelque-chose d’efficace et de justifié dans son application ». On peut évidemment aussi inventer, inventer des techniques plus esthétiques, adaptées à son dessein. Cependant jusqu'où cela est-il encore de l'escrime, où cela devient-il autre chose ? Il y a malgré tout une certaine logique du combat à respecter, où fixer celle-ci ? Est-on encore dans le combat lorsqu'un protagoniste effectue sept attaques à la suite sans justification scénaristique (adversaire refusant le combat ou volonté de récit artistique) ? Le souci esthétique seul peut-il justifier cela ?

Une excuse pour faire n'importe quoi ?


Mon impression, celle qui a d’ailleurs présidé à la création de ce blog, est que l’excuse de faire un combat « artistique » est trop souvent utilisée pour justifier n’importe quel coup pas crédible. On dira ainsi que si l’on effectue toutes ces voltes inutiles, si, lors d’un combat à deux armes ou avec un bouclier, on attaque en rejetant en arrière l’arme secondaire, si l’on arme outrageusement ses coups, ou même, si l’on enchaîne ces mêmes coups outrageusement armés sans riposte adverse, c’est pour faire « plus esthétique », parce qu’on ne cherche pas le réalisme mais le côté artistique...
Je reste perplexe sur tout cela. Entendons-nous bien, je peux parfaitement accepter ces fioritures ou ces irréalisme si l’ensemble est cohérent. Si le combat s’inscrit hors du temps, dans une symbolique ou une ambiance particulière le style y participe complètement. Si il fait partie d’un ensemble plus important comme un film ou une pièce de théâtre il faut qu’il soit en cohérence avec : si l’ensemble est sur un ton plus réaliste alors il faudra un combat plus réaliste (donc sans tout ce que je viens de pointer), si il est comique on pourra se permettre certaines exagérations irréalistes et burlesques, si il est onirique, esthétisant, veut créer une certaine impression, alors le combat devra y être adapté.



Le spectacle" La Dame de pique" par l’école d’escrime artistique “Espada” (Russie), champions du Monde 2016, ici le côté esthétique et hors du temps est pleinement assumé et l’escrime est au service d’une chorégraphie léchée et d’un récit artistique.

Mais si l’on a des coups, des postures choisies pour leur esthétisme dans un ensemble qui se veut réaliste ou brutalement dramatique cela risque de sonner faux, voire de sembler ridicule à l’œil un minimum initié ou critique. Cela sera encore plus critiquable si l’on est dans un cadre de reconstitution historique sérieuse ou que l’on fait croire que c’est ainsi que les chevaliers/mousquetaires/pirates/courtisans se battaient !

Paradoxalement j’ai l’impression que l’inverse est moins vrai. Des coups réalistes sonneront probablement moins faux dans un ensemble irréaliste, si tant est que le jeu des escrimeurs-acteurs reste dans le ton du reste. On prend donc peut-être moins de risques à rechercher le réalisme... À méditer.

En guise de conclusion ?


L'opposition serait donc plus entre esthétisme et réalisme et lequel a priorité sur l'autre lorsqu'il y a conflit. L’important reste finalement de savoir ce que l’on veut faire, de savoir ce qui y est adapté ou non et de ne privilégier l’esthétisme sur le reste que si cela fait partie du « cahier des charges » du combat ou de l’ensemble dans lequel il s’inscrit. Dans le doute on devrait partir d’une base réaliste qu’on arrange en fonction de l’objectif. Et n'oublions pas que de nombreux coups ou enchaînements historiques ont un énorme potentiel visuel, souvent inexploité !

dimanche 18 mars 2018

Fleurets mouchetés, Fechtfedern, armes en bois en spectacle ?

Presque tous les scénarios d'escrime artistiques impliquent des armes que l'on suppose mortelles et des coups qui, si ils ne sont pas parés, seraient le plus souvent mortels ou entraîneraient à tout le moins de graves blessures (même si nos armes ne sont ni pointues ni tranchantes pour des raisons de sécurité évidentes).
On ne figure jamais, ou extrêmement rarement des combats "sportifs", des salles d'armes ou des compétitions d'escrime, voire des tournois, comme il en a pourtant existé dans le passé. Je voudrais donc ici examiner rapidement l'intérêt de présenter de tels combats.

Une vieille histoire

L'escrime aux armes mouchetées  daterait au moins de l'Égypte antique  puisqu'un bas-relief du temple de Médinet Habou, près de Louxor en Égypte, construit par Ramsès III en 1190 av. J.-C, figure des escrimeurs s'affrontant avec des armes souples, mouchetées et la tête protégée par une sorte de proto masque. La Grèce antique, Rome, en fait probablement la plupart des civilisations, ont utilisé des armes d'entraînement en bois.
Quant aux compétitions et spectacles d'escrime l'Antiquité a ses combats de gladiateurs sanglants. Mais le Moyen-Âge a ses tournois et Pas d'Armes avec, par exemple, le combat à la barrière (les deux combattants s'affrontent en armure, le plus souvent armés de haches nobles, chacun d'un côté d'une barrière qu'ils ne peuvent franchir.
La Renaissance voit, dans le monde germanique notamment, la naissance de salles d'armes où la bourgeoisie urbaine se sociabilise. On organisait également des événements d'escrime, sorte de compétitions où les participants s'affrontaient à l'épée longue avec des fechtfedern, armes spécialement conçues pour cet usage : plus légères, plus souples et non tranchantes. On se battait également avec des dussacks en bois (le dussack, appelé aussi braquemart en français, est un sabre court, une arme secondaire sur le champ de bataille que l'on pouvait aussi porter facilement dans la rue pour se défendre). Les protagonistes n'ayant pas de masques on évitait les coups à la tête, les protections n'étant pas non plus tout à fait les mêmes qu'aujourd'hui on devait également ressortir avec de bonnes ecchymoses !
Des escrimeurs s'entraînant avec des fechtfedern dans le traité de Joachim Meyer de 1570
Le XVIIème siècle a vu, quant à lui, l'invention du fleuret, arme mouchetée, à la lame souple qui plie au lieu de pénétrer dans les corps, efficace pour entraîner les escrimeurs à la rapière et puis, surtout, à l'épée de cour, arme du duel par excellence. L'enseignement se faisait dans des salles d'armes chez des maitres privés, au domicile de l'intéressé ou dans des académies (où l'on enseignait également l'équitation, la danse et les mathématiques aux jeunes nobles). Il s'organisait également des compétitions d'escrime dont on a retrouvé le règlement de certaines. Enfin, au XVIIIème siècle des rencontres entre escrimeurs renommés étaient organisées. La plus célèbre est peut-être celle entre le chevalier d'Éon et le chevalier de Saint George à Carlton House le 9 avril 1787 à la demande expresse du prince de Galles, Georges Auguste de Hanovre, futur George IV. Dans toutes ces exhibitions faire montre de son habileté, présenter une belle escrime était souvent bien plus important que de mettre le plus de touches. La manière de toucher était au moins aussi importante que la touche elle-même !
L'affrontement du Chevalier de Saint-George et du Chevalier d'Éon
Gravure de Victor Marie Picot basée sur l'œuvre originale d'Alexandre-Auguste Robineau.
Le XIXème siècle a vu peu à peu la naissance du sport moderne et l'utilisation systématique du masque d'escrime (connu au moins un siècle plus tôt mais peu utilisé), les premiers jeux olympiques et l'escrime sportive telle qu'elle est pratiquée encore de nos jours.

L'intérêt en escrime de spectacle

Représenter sur scène, en animation ou en vidéo une escrime à armes neutralisées et assumées comme telles a premièrement un intérêt de réalisme : les combats historiques étant souvent très courts on peu en fait enchaîner les phrases d'armes sans que cela semble miraculeux que personne ne soit touché ! En fait on peut assumer complètement de toucher et que le combat ne soit pas fini pour autant. Il n'y a pas de mise à mort à caler scrupuleusement puisque ces armes ne sont pas censées être de vraies armes. Cela peut changer un certain nombre de chorégraphies, en poussant plus loin on utilisera les ruses de l'époque comme ces grands chapeaux permettant de grandes fentes sans se faire toucher (puisque la tête n'est pas une surface valable et que l'on voit dans le traité de La Touche). De plus on peut enchaîner les touches de façon totalement logique et assumée, tout cela est "pour le sport", on ne meurt pas, on est dans le cadre d'un tournois, d'une rivalité amicale, d'une exhibition, d'un entraînement...
Une grande fente dans le traité de Philibert de La Touche (1670)
Cela permet donc d'avoir des scénarios différents, plus légers, où l'ombre de la mort ne plane pas au-dessus des combattants, où l'on se bat pour la gloire, les honneurs, le plaisir, la performance. Une salle d'armes obscure au rez-de-chaussée d'une maison bourgeoise, une académie prestigieuse, l'hôtel d'un gentilhomme faisant éduquer ses enfants, la cour avec ses seigneurs, une sociabilité de notables d'une ville allemande... Tout cela fournit de nouveaux cadres et autant de prétexte à des histoires que l'on voit rarement racontées dans les spectacles d'escrime artistique. Vous avez du comprendre que je milite ardemment pour la variété en spectacle, en voilà donc une possibilité !
Enfin, jouer avec des armes vraiment sécurisées peut être intéressant avec des débutants. Si une Fechtfeder n'est pas vraiment moins dangereuse qu'une épée longue de spectacle un fleuret moucheté l'est moins qu'une rapière et un dussack de bois l'est infiniment moins qu'un dussack en acier ! Sous certaines conditions, on peut amorcer un spectacle avec des escrimeurs de spectacle n'ayant que quelques mois de cours et à qui on voudrait éviter de confier des armes en acier.

Les défauts de ce type de spectacle

Soyons honnêtes, le goût du sang est bien présent chez les spectateurs que nous sommes aussi. Ainsi, un combat où plane l'ombre de la mort, où les protagonistes veulent se tuer, où l'enjeu est tel qu'il faille tuer l'adversaire pour se venger, pour sauver sa belle, son roi, son pays ou simplement sa vie est bien plus excitant qu'une simple joute "pour le sport". L'intensité dramatique ne pourra donc pas être aussi forte puisque le danger n'est pas là, que le vaincu risque, au pire, une humiliante défaite.
C'est un très gros défaut qui fera que ce type de spectacle ne pourra être majoritaire parmi les combats d'escrime artistique.
Concernant la sécurité il y a également un certain risque à véritablement toucher : il faut contrôler son coup, même avec des armes en bois, et encore plus avec des armes en acier même bluntées. Ensuite la tête n'étant pas protégée (sauf dans le cas très rare d'une simulation d'un match d'escrime moderne), les estocs restent dangereux et devront être exécutés soit dans les lignes basses, soit par des escrimeurs expérimentés. Le port d'une veste d'escrime ou d'une sous-cuirasse en cas de bris du fleuret peut également être recommandé.

Malgré tout cela je pense que c'est un type de spectacle que l'on gagnerait à développer un peu plus et à explorer scénaristiquement.





vendredi 9 mars 2018

L'escrime médiévale de spectacle et de cinéma : une escrime de rustauds ?

Allez disons-le, la plupart de temps (il y a des exceptions), lorsque je regarde des vidéos de combats chorégraphiés médiévaux français, russes ou autres (en fait, pour être honnête, autres que des cascadeurs tchèques ou des Polonais faisant de l'AMHE) je suis souvent très déçu. C'est la même chose (en pire ?) lors des fêtes médiévales : les combats sont souvent lents voire poussifs avec des coups très très basiques quand ce n'est pas une grossière adaptation des techniques de rapière "mousquetaire". Quant à Hollywood, le cinéma aime nous présenter les soi-disant meilleurs combattants du royaume/continent/monde s'envoyant joyeusement d'immenses coups d'épée.

D'habitude je ne dénonce pas mais là c'est clairement du brutal !

Des coups trop armés


Pour dépasser cette déception je me suis demandé pourquoi ; qu'est-ce qui n'allait pas dans ces combats ?
Alors oui, il arrive souvent que les combattants ne soient pas au point dans la maîtrise parfaite de la chorégraphie, d'où la lenteur. D'autant que, sur un coup de taille, une épée médiévale mal maîtrisée est bien plus dangereuse qu'une lame de rapière triangulaire, le danger de se blesser gravement est réel.

Mais bon, je ne peux pas ne voir que des escrimeurs mal préparés, il y a donc autre chose...
En fait l’explication est assez simple : les coups sont trop armés ! J'ai déjà évoqué dans un précédent article les différents coups de taille, eh bien on a l'impression que les troupes ou les escrimeurs ne font que des quaterblows avec leurs épées, des coups capables de vous découper en deux alors que bon, pour vous tuer, il suffit juste de vous ouvrir de quelques centimètres la gorge, le crâne, le bas-ventre ou n'importe quelle artère ! Certes c'est impressionnant et, à Hollywood, avec des cascadeurs athlétiques, des effets spéciaux, du son, de bons angles de caméra ça peut donner quelque chose d'assez spectaculaire. Mais au pied d'un château, dans un champ avec des barrières en alu et une sono poussive, sous la pluie, ou même sur une scène de théâtre ça donne surtout l'impression d'être... LENT !

C'est biomécanique, plus un coup est armé, plus il est ample, plus il est lent. En escrime sportive les maîtres ne cessent d'apprendre à leurs élèves à réduire l'ampleur de leurs dégagements, de leurs parades, de leurs feintes, de faire ces mouvements avec les doigts plutôt qu'avec le poignet ou les bras, tout ça pour gagner les dixièmes de seconde qui feront que la technique passe ou non. L'habitude (contestable) d'armer exagérément ses coups est utilisée à la rapière pour donner plus de mouvement à la scène et pour que le public puisse suivre (c'est du moins ainsi qu'on le justifie en général, on pourra en discuter mais ce n'est pas l'objet aujourd'hui). La légèreté des rapières de spectacle permet au combat de rester rapide quand les escrimeurs maîtrisent leur propos. Hélas, avec des épées de plus d'1 kg, même bien équilibrées, ça devient franchement lent et l'on ne peut faire des enchaînements rapides et subtils comme il en existe pourtant chez les maîtres d'armes médiévaux historiques.

Je parlais dans mon premier billet de respecter la logique de l'arme, celle de l'épée médiévale n'est pas d'armer outre mesure un coup qui n'en a pas besoin pour être dangereux mais de profiter de certaines caractéristiques liées au poids de l'arme (plus d'inertie, battements et froissements plus efficaces que sur une rapière, effet de levier si l'arme est tenue à deux mains...) pour faire un combat différent de celui qu'on ferait avec une autre arme.

Une escrime "de paysan"

Tous les traités d'escrime ont leur "coup du paysan", en général un coup brutal, plus ou moins vertical, asséné par quelqu'un qui ne connaît pas vraiment l'escrime. Beaucoup de techniques commencent par une défense contre une attaque verticale à la tête... parce que c'est probablement le coup le plus évident que vous assènera un ivrogne qui veut en venir aux mains, ou un soldat stressé sur le champ de bataille.
Un coup furieux chez Andre Paurñfeyndt (Manuel de 1516)
 Donc, nos meilleurs combattants du royaume/continent/monde quand ils s'affrontent décident de pratiquer une escrime rustique sans aucune subtilité et que les maîtres d'armes des traités nous apprennent à contrer facilement (même si Keith Farell explique comment un maître peut être en danger face à un tel buffle).

Fiore dei Liberi, si il cite les coups brutaux nous donne surtout des techniques où l'on met peu de force et beaucoup de subtilité. La tradition de Lichtenauer nous enseigne des coups de maître, en un seul temps d'escrime, permettant de vaincre facilement l'adversaire qui manque de subtilité. Tous ces traités sont riches en coups spéciaux, en prises d'épée originales, en clefs, en désarmements, en coups de pied, de pommeau, de quillons... Autant de choses qu'on ne voit pas, ou très peu, dans les spectacles médiévaux. À la place on voit une escrime, au pire de paysans mal dégrossis qu'on a armés, au mieux de soudards à qui on a donné quelques rudiments et, peut-être, une ou deux techniques spéciales.

Alors oui, l'escrime n'était pas toujours très élaborée lorsqu'elle était pratiquée par des soudards avec peu d'instruction martiale, mais là encore, il faut savoir quels personnages on joue ! On entre ici dans la partie interprétation d'un personnage avec son passé, son histoire, sa réputation. Un chevalier élevé dans un château sortira probablement d'autres techniques que celles d'un soudard sommairement formé, et lorsque les combattants sont censés être les meilleurs du royaume/continent/monde, il n'y a aucune excuse pour ne pas employer les techniques spéciales qui nous sont parvenues ! Et même des soudards avec un minimum d'instruction martiale de base n'armeront pas exagérément leurs coups, même si ceux-ci sont assez simples car ils ne sont tout simplement pas idiots !

En conclusion j'invite les pratiquants à réfléchir à leurs combats et à leurs coups quand ils font de l'escrime médiévale de spectacle, à ne pas hésiter à faire des coups moins amples mais qui permettent de mettre plus de rapidité et de rythme. Et, si ils le sentent, à rechercher, apprendre et maîtriser les coups des maîtres d'armes du passé, à les adapter, si besoin, aux nécessités du spectacle ou alors, à se contenter de jouer des soudards et autres brutes à peine dégrossies. Pour finir on ajoutera que ces soudards emploieraient probablement d'autres arme que des épées longues mais bon...
Pour finir une vidéo qui prouve qu'on peut faire un combat magnifique avec des coups issus de traités :

jeudi 1 mars 2018

Quelques coups originaux chez Pierre Jacques François Girard

Pierre Jacques François Girard était un ancien officier de marine et maître d’armes de la première moitié du XVIIIème siècle. Il est l’auteur de deux traités d’épée de cour bien illustrés de gravures à l’eau forte : le premier publié en 1736 est le Traité de la perfection sur fait des armes. Il a été réédité en 1740 sous le titre Traité des armes dédié au Roy. Le second publié en 1755 dont le titre est L’académie de l’homme d’épée: ou La science parfaite des exercices défensifs et offensifs. Si ceux-ci sont moins beaux et moins connus que le traité de Domenico Angelo par exemple ils ont l’intérêt de proposer une escrime où l’on utilise encore beaucoup la main non armée. Ils sont assez didactiques, présentent une escrime de salle d’armes mais également une escrime pour les duels (les « affaires sérieuses ») et même des techniques pour la guerre, contre les sabres, les piques et d’autres types d’adversaires. Il y a une certaine volonté d’exhaustivité chez Pierre Girard qu’on ne retrouve pas partout et qui, pour le pratiquant d’escrime artistique, est une bonne source pour trouver des coups originaux qui changeront de l’ordinaire.
Je propose ici d’en présenter quelques-uns issus de ce traité qui peuvent être intéressants à replacer dans un spectacle.

Une Flanconnade

La flanconnade est un coup qui vise le flanc, Michel Palvadeau dans son Guide pratique d’escrime artistique (éd. Émotion primitive – 2009) précise que « la main reste dans la ligne où elle a pris le fer plutôt que de passer dans la ligne diagonalement opposée ». Il existe de très nombreuses façons de faire une flanconnade et Girard en présente lui-même trois. Nous nous occuperons ici de la première qui est intéressante car elle implique la main non armée, donne un visuel un peu original (avec une épée coincée par le bras et la main) et présente même un contre. Mais laissons Girard parler :
« L’ennemi se mettant en garde le poignet avancé en devant le corps, et que l’épée est engagée en dehors des armes, je la fais dégager de quarte, levant la main haute et les ongles en dessus, le bras tendu, gagnant le faible de son épée, en coulant dessus et passant la pointe derrière son poignet ; et dans le même temps, je lui fais tirer le coup de flanconnade sur le flanc droit, le bras et le jarret bien étendus, le poignet haut tourné de quarte et courbé, le corps soutenu avec la main gauche opposée à son épée crainte d’être frappé de même temps ; en cas que l’ennemi vînt à tourner la main de tierce. Le coup achevé se retirer en garde, ou redoubler le même coup. »
Il y joint deux illustrations sur le coup et son contre qui facilitent la compréhension. Pour mémoire la notion de dedans et dehors des armes est essentielle en escrime de cour car on oppose toujours la lame à celle de l’adversaire pour se couvrir, la tierce est en dehors des armes et en pronation, la quarte en dedans des armes et en supination.
Sans être extraordinaire ce coup pourra toujours trouver à se placer dans un combat.


Le contre d’un saisissement de poignet

On voit souvent des désarmements, façon sécurisée de finir un combat ou de se montrer généreux en rendant son arme à l’adversaire (scénario dont on abuse peut-être un peu en escrime artistique), mais voilà, vous croyiez en voir de nouveau un, eh bien non, Girard nous montre une technique d’une simplicité extrême qui retournera les situations sans vous obliger à faire preuve de générosité ! Il appelle cela « contre ceux qui saisissent la main au lieu de saisir la garde de l’épée » :
« L’ennemi venant au saisissement d’épée sur vous, étant abandonné sur lui, et qu’au lieu de saisir votre garde, il ne saisisse que le bras ou la main droite, il faut dans ce cas jeter dans ce même temps brusquement la main gauche sur le milieu de votre lame, en la quittant aussitôt de la main droite, qu’il tiendrait saisie, lui présentant la pointe sur le corps de ladite main gauche élevée avec le bras retiré en arrière, et ferme sur les jambes. »
Simple et efficace...

L’épée tenue à deux mains

D’autres auteurs appellent cela la « botte du paysan », Girard la nomme simplement « Garde de ceux qui tiennent leur épée à deux mains ». Il s’agit de tenir la délicate épée de cour à deux mains pour pratiquer une escrime manquant probablement de subtilité, idéale pour un personnage rustique ou brutal. Elle se place probablement bien en fin de combat lorsque ledit personnage s’énerve, se fatigue ou tente le tout pour le tout.
« Ils ont le genou gauche tendu et le genou droit plié ; ils tiennent leur épée à deux mains les bras en avant au dessus du genou droit, à l ahauteur de la ceinture de la culotte, avec la pointe haute ; et dans cette attitude ils parent ferme de tierce et de quarte, et lorsqu’ils veulent riposter, ils quittent l’épée de la main gauche pour tirer les coups de la main droite, comme nous tirons ordinairement. »
Girard explique également la façon de combattre cette garde :
Entrant en mesure, je fais faire une feinte à la tête de la pointe de l’épée, ou une demi-botte ; et l’ennemi venant à la parade, je fais dégager subtilement de quarte, le poignet à la hauteur de l’épaule, le corps en arrière sur la partie gauche, comme pour achever le coup de quarte sur la poitrine, ou, ne manquant pas de parer ferme des deux mains et même de faire un battement d’épée, en quittant l’épée de la main gauche pour riposter de quarte droite dans les armes de la main droite, il faut parer sec et quitter sa lame en lui tirant le coup de quarte coupé sous la ligne du bras de la principe, et redoubler de tierce à fond, faisant suivre le pied gauche, ensuite de seconde, puis faire retraite. »


Bonus : combattre les fléaux à grain

Girard consacre de nombreuses pages au combat contre les sabres (qu’on appelle plutôt « espadons » à l’époque), une technique contre les lances, armes d’hast (et donc fusils à baïonnette), mais la plus amusante est probablement la défense contre le paysan mécontent qui vous attaque avec son fléau à grain. Comme on le verra la technique est d’une simplicité enfantine et très facile à placer en spectacle pour peu qu’on veuille accepter un fléau à grain sur scène. Elle fonctionne probablement à toutes les époques avec toutes sortes d’armes articulées un peu grandes. La voici :
« Les fléaux brisés sont faits de cinq ou six bâtons, de la longueur d’environ un pied chacun, attachés bout à bout avecd e petits chaînons de fer, et y ayant au dernier bout une boule d’acier, de la pesanteur d’une demi-livre ; de sorte qu’un homme en va battre dix avec un fléau brisé : car étant en train d’aller, il pare des pierres jetées à tour de bras.
Étant en campagne et ayant malheureusement affaire à ces sortes d’armes, il faut s’éloigner de leur portée et ôter son habit, sous prétexte qu’il embarrasse, puis le tenir par le milieu du dos avec la main gauche, toujours reculant l’épée à la main, et dans le temps que le fléau ou le bâton fait le moulinet rapidement, étant à une certaine distance, jeter de toutes ses forces l’habit dessus ladite arme, qui arrêtera le moulinet, et aussitôt se jeter brusquement sur l’ennemi pour lui ôter son arme, en lui présentant la pointe de l’épée sur le corps.
Ces armes se combattent en étant hors de mesure, et l’on peut avoir un fouet à la main, en allongeant le coup de fouet sur lesdites armes, dans le temps même du moulinet, et pareillement jetant quelque-chose de lourd bien attaché au bout d’une corde fine dans le moment du mouvement desdites armes. »