dimanche 18 mars 2018

Fleurets mouchetés, Fechtfedern, armes en bois en spectacle ?

Presque tous les scénarios d'escrime artistiques impliquent des armes que l'on suppose mortelles et des coups qui, si ils ne sont pas parés, seraient le plus souvent mortels ou entraîneraient à tout le moins de graves blessures (même si nos armes ne sont ni pointues ni tranchantes pour des raisons de sécurité évidentes).
On ne figure jamais, ou extrêmement rarement des combats "sportifs", des salles d'armes ou des compétitions d'escrime, voire des tournois, comme il en a pourtant existé dans le passé. Je voudrais donc ici examiner rapidement l'intérêt de présenter de tels combats.

Une vieille histoire

L'escrime aux armes mouchetées  daterait au moins de l'Égypte antique  puisqu'un bas-relief du temple de Médinet Habou, près de Louxor en Égypte, construit par Ramsès III en 1190 av. J.-C, figure des escrimeurs s'affrontant avec des armes souples, mouchetées et la tête protégée par une sorte de proto masque. La Grèce antique, Rome, en fait probablement la plupart des civilisations, ont utilisé des armes d'entraînement en bois.
Quant aux compétitions et spectacles d'escrime l'Antiquité a ses combats de gladiateurs sanglants. Mais le Moyen-Âge a ses tournois et Pas d'Armes avec, par exemple, le combat à la barrière (les deux combattants s'affrontent en armure, le plus souvent armés de haches nobles, chacun d'un côté d'une barrière qu'ils ne peuvent franchir.
La Renaissance voit, dans le monde germanique notamment, la naissance de salles d'armes où la bourgeoisie urbaine se sociabilise. On organisait également des événements d'escrime, sorte de compétitions où les participants s'affrontaient à l'épée longue avec des fechtfedern, armes spécialement conçues pour cet usage : plus légères, plus souples et non tranchantes. On se battait également avec des dussacks en bois (le dussack, appelé aussi braquemart en français, est un sabre court, une arme secondaire sur le champ de bataille que l'on pouvait aussi porter facilement dans la rue pour se défendre). Les protagonistes n'ayant pas de masques on évitait les coups à la tête, les protections n'étant pas non plus tout à fait les mêmes qu'aujourd'hui on devait également ressortir avec de bonnes ecchymoses !
Des escrimeurs s'entraînant avec des fechtfedern dans le traité de Joachim Meyer de 1570
Le XVIIème siècle a vu, quant à lui, l'invention du fleuret, arme mouchetée, à la lame souple qui plie au lieu de pénétrer dans les corps, efficace pour entraîner les escrimeurs à la rapière et puis, surtout, à l'épée de cour, arme du duel par excellence. L'enseignement se faisait dans des salles d'armes chez des maitres privés, au domicile de l'intéressé ou dans des académies (où l'on enseignait également l'équitation, la danse et les mathématiques aux jeunes nobles). Il s'organisait également des compétitions d'escrime dont on a retrouvé le règlement de certaines. Enfin, au XVIIIème siècle des rencontres entre escrimeurs renommés étaient organisées. La plus célèbre est peut-être celle entre le chevalier d'Éon et le chevalier de Saint George à Carlton House le 9 avril 1787 à la demande expresse du prince de Galles, Georges Auguste de Hanovre, futur George IV. Dans toutes ces exhibitions faire montre de son habileté, présenter une belle escrime était souvent bien plus important que de mettre le plus de touches. La manière de toucher était au moins aussi importante que la touche elle-même !
L'affrontement du Chevalier de Saint-George et du Chevalier d'Éon
Gravure de Victor Marie Picot basée sur l'œuvre originale d'Alexandre-Auguste Robineau.
Le XIXème siècle a vu peu à peu la naissance du sport moderne et l'utilisation systématique du masque d'escrime (connu au moins un siècle plus tôt mais peu utilisé), les premiers jeux olympiques et l'escrime sportive telle qu'elle est pratiquée encore de nos jours.

L'intérêt en escrime de spectacle

Représenter sur scène, en animation ou en vidéo une escrime à armes neutralisées et assumées comme telles a premièrement un intérêt de réalisme : les combats historiques étant souvent très courts on peu en fait enchaîner les phrases d'armes sans que cela semble miraculeux que personne ne soit touché ! En fait on peut assumer complètement de toucher et que le combat ne soit pas fini pour autant. Il n'y a pas de mise à mort à caler scrupuleusement puisque ces armes ne sont pas censées être de vraies armes. Cela peut changer un certain nombre de chorégraphies, en poussant plus loin on utilisera les ruses de l'époque comme ces grands chapeaux permettant de grandes fentes sans se faire toucher (puisque la tête n'est pas une surface valable et que l'on voit dans le traité de La Touche). De plus on peut enchaîner les touches de façon totalement logique et assumée, tout cela est "pour le sport", on ne meurt pas, on est dans le cadre d'un tournois, d'une rivalité amicale, d'une exhibition, d'un entraînement...
Une grande fente dans le traité de Philibert de La Touche (1670)
Cela permet donc d'avoir des scénarios différents, plus légers, où l'ombre de la mort ne plane pas au-dessus des combattants, où l'on se bat pour la gloire, les honneurs, le plaisir, la performance. Une salle d'armes obscure au rez-de-chaussée d'une maison bourgeoise, une académie prestigieuse, l'hôtel d'un gentilhomme faisant éduquer ses enfants, la cour avec ses seigneurs, une sociabilité de notables d'une ville allemande... Tout cela fournit de nouveaux cadres et autant de prétexte à des histoires que l'on voit rarement racontées dans les spectacles d'escrime artistique. Vous avez du comprendre que je milite ardemment pour la variété en spectacle, en voilà donc une possibilité !
Enfin, jouer avec des armes vraiment sécurisées peut être intéressant avec des débutants. Si une Fechtfeder n'est pas vraiment moins dangereuse qu'une épée longue de spectacle un fleuret moucheté l'est moins qu'une rapière et un dussack de bois l'est infiniment moins qu'un dussack en acier ! Sous certaines conditions, on peut amorcer un spectacle avec des escrimeurs de spectacle n'ayant que quelques mois de cours et à qui on voudrait éviter de confier des armes en acier.

Les défauts de ce type de spectacle

Soyons honnêtes, le goût du sang est bien présent chez les spectateurs que nous sommes aussi. Ainsi, un combat où plane l'ombre de la mort, où les protagonistes veulent se tuer, où l'enjeu est tel qu'il faille tuer l'adversaire pour se venger, pour sauver sa belle, son roi, son pays ou simplement sa vie est bien plus excitant qu'une simple joute "pour le sport". L'intensité dramatique ne pourra donc pas être aussi forte puisque le danger n'est pas là, que le vaincu risque, au pire, une humiliante défaite.
C'est un très gros défaut qui fera que ce type de spectacle ne pourra être majoritaire parmi les combats d'escrime artistique.
Concernant la sécurité il y a également un certain risque à véritablement toucher : il faut contrôler son coup, même avec des armes en bois, et encore plus avec des armes en acier même bluntées. Ensuite la tête n'étant pas protégée (sauf dans le cas très rare d'une simulation d'un match d'escrime moderne), les estocs restent dangereux et devront être exécutés soit dans les lignes basses, soit par des escrimeurs expérimentés. Le port d'une veste d'escrime ou d'une sous-cuirasse en cas de bris du fleuret peut également être recommandé.

Malgré tout cela je pense que c'est un type de spectacle que l'on gagnerait à développer un peu plus et à explorer scénaristiquement.





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